
Source photo: Dave Chan/AFP
Aujourd’hui, le Canada aura un nouveau premier ministre. Après l’annonce de sa démission, le 6 janvier dernier, Justin Trudeau tire sa révérence après près d’une décennie sur la plus haute marche du pouvoir canadien. Voici un bilan qui retrace les moments marquants de sa gouvernance. Le constat est clair: des controverses aux politiques audacieuses, Trudeau aura, comme son père, marqué la politique canadienne.
La « Trudeaumania 2.0 » et des premières décisions qui ne passent pas inaperçues
Après une campagne électorale étincelante, Justin Trudeau, 43 ans, est choisi pour être le 23e premier ministre du Canada, le 19 octobre 2015. Il mène le Parti libéral à son premier mandat majoritaire en 15 ans. Ses convictions, son charisme et sa fougue auront séduit les électeurs canadiens et la communauté internationale (disons que c’est de famille…).
Pour la première fois de l’histoire fédérale, Justin Trudeau convoque un cabinet paritaire: 15 femmes et 15 hommes. Lorsqu’on lui demandera la nature de cette décision, il répond: « Parce qu’on est en 2015 ». Deux ans plus tard, Trudeau lancera la Politique d’aide internationale féministe, qui mise sur des investissements considérants l’autonomisation et l’égalité des femmes.
Allocation canadienne pour enfants et légalisation du cannabis : promesses dites, promesses tenues
Promesse phare de la campagne de 2015, Justin Trudeau instaure l’Allocation canadienne pour enfants, une aide non imposable octroyée mensuellement aux familles, en fonction du revenu d’un ménage. Depuis sa mise en place, cette prestation, qui a été bonifiée au fil du temps, permet annuellement à plus de 500 000 enfants de ne pas vivre en situation de précarité infantile. L’ACE a également réduit le seuil de pauvreté (avant 2020).
Après une expérience concluante plus jeune, Justin Trudeau s’est montré ouvert à la légalisation du cannabis à l’échelle du Canada. C’était également une bonne manière de contrer le marché noir et rapporter de l’argent à l’État. Le 17 octobre 2018, le pays devient le premier à légaliser la drogue douce. Alors qu’on craignait une hausse de la consommation de marijuana, il s’avère qu’elle demeure stable, voire en baisse chez les 15-24 ans.
Diplomatie: des terrains glissants

Les dirigeants des 7 pays les plus influents réunis dans Charlevoix, à l’occasion de la conférence du G7, en juin 2018. Source photo: Cole Burston/Bloomberg
En connaissant le tempérament de M. Trudeau, on pouvait déjà reconnaître en 2015 sa volonté de créer une rupture en matière de politique étrangère avec son prédécesseur. Harper n’était pas le plus grand amateur des organisations internationales, surtout après que l’ONU ait rejeté la candidature du Canada pour le Conseil de sécurité, en 2010. À cet effet, ce n’est pas sans rappeler son « stunt » médiatique, alors qu’il a préféré faire une conférence de presse dans un Tim Hortons de Oakville au lieu d’assister à une conférence des Nations unies. Bref, Trudeau comptait troquer les beignes pour les soupes diplomatiques. Par ailleurs, il engage le Canada dans l’Accord de Paris, un traité international qui engage les pays signataires à réduire leurs émissions de GES de 55%. Puis, en mars 2016, il effectuera son premier voyage diplomatique à Washington, comme le veut la tradition. C’est le début d’une amitié fraternelle entre Trudeau et le président Barack Obama et renforcera les liens diplomatiques entre les deux pays. Plus tard dans l’année, l’élection d’un nouveau président viendra farouchement contraster cette relation de proximité…
La première élection de Donald Trump, le 8 novembre 2016, pose un sérieux casse-tête au gouvernement Trudeau. L’imprévisibilité et son caractère acrimonieux changent la donne. En avril 2017, il impose des tarifs de 25% (plus tard descendus à 10%) sur le bois d’oeuvre canadien. L’année suivante, à la demande de Trump, une nouvelle entente commerciale entre les États-Unis, le Canada et le Mexique est signée. À l’époque, il en viendra à l’occupant de la Maison-Blanche d’affirmer qu’il s’agit de « l’entente la plus importante et la meilleure de l’histoire. »
La visite diplomatique de Justin Trudeau en Inde, en février 2018, a fait parler d’elle, pour les mauvaises raisons. Son séjour coûteux et ses habillements truculents ont été l’objet de plusieurs moqueries au Canada et à l’international. Quelques mois après, Trudeau accueillait les dirigeants du G7 à La Malbaie, au Québec. S’en tirera trois choses: le coût astronomique de 600 millions, le non respect de la dignité des gens de Charlevoix (grillages, sécurité importante) et le président étasunien qui a bousculé les activités en arrivant en retard au Sommet et en pourfendant son homologue canadien. De plus, les relations diplomatiques du Canada avec la Chine ont grandement été chamboulées sous Trudeau. En 2018, le Canada obéit à la demande d’extradition formulée par les États-Unis contre Meng Wanzhou, une dirigeante de l’entreprise de téléphones portables Huawei. Quelques jours plus tard, deux ressortissants canadiens, Michael Kovrig et Michael Spaviour, sont arrêtés de façon arbitraire par les autorités chinoises puisqu’on les soupçonnait d’espionnage. Sanctions économiques et rupture diplomatique suivront, avant la libération des otages et Mme Wanzhou, en 2021. Cette année-là, les partis d’opposition suspectent l’ingérence chinoise dans l’élection générale canadienne, qui sera démentie par le rapport de la commission Hogue, en 2024. L’année suivante, une poignée de main suivie d’une conversation tendue entre Xi Jinping et Justin Trudeau feront le tour du monde.
Les relations Canada-Inde ont également pris un coup. En juin 2023, la mort suspecte d’un activiste séparatiste sikh en Colombie-Britannique sonne le glas. Le Canada accuse l’ambassade indienne d’avoir fomenté cet assassinat. L’ambassadeur indien perdra son statut diplomatique, l’Inde rétorque par la pareille. Les deux pays se livrent une dispute diplomatique, alors qu’ils retirent leurs effectifs de leur ambassade respective. Selon plusieurs, les deux pays en seraient venus à l’idée de rompre complètement leurs liens diplomatiques.
Conflits d’intérêts et allégations de corruption
En 2016, la Vérificatrice générale du Canada blâme le premier ministre pour un conflit d’intérêts à la suite de vacances prises sur l’île privée de l’Aga Khan, le chef religieux et ami de la famille Trudeau. Trois ans plus tard, Trudeau et son conseiller Gerald Butts (qui démissionnera) sont accusés d’avoir mis de la pression sur la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour qu’elle mette fin à des procédures judiciaires contre la firme de construction SNC-Lavalin. En 2020, des contrats sans appel d’offres à l’OBNL We Charity, dans lequel la famille Trudeau s’est longtemps impliqué, créé un nouveau scandale de corruption. Le ministre des Finances, Bill Morneau, lui aussi visé, quittera son poste.
L’environnement: quand les bottines ne suivent pas les babines
Deux milliards d’arbres, l’entrée prometteuse du Canada dans l’Accord de Paris, les promesses d’investissements majeurs dans la transition énergétiques: les engagements de Justin Trudeau semblaient prometteurs. Mais son bilan est catastrophique, tout simplement. Le gouvernement Trudeau a investi près 1 G $ dans la plantation d’arbres, sans nécessairement atteindre l’ambitieux objectif de 2 milliards. En 2018, il a approuvé l’achat de l’oléoduc Transmountain, censé relier l’Alberta à la Colombie-Britannique, pour la somme de 4,5 G $. Toujours pas parachevé, Transmountain pourrait coûter 34,2 G $ à l’État. Par ailleurs, Trudeau et son ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, ont autorisé la construction d’une plateforme d’extraction pétrolière au large de Terre-Neuve et fermé les yeux sur des déversements importants de boue toxique par la BP, au large d’Halifax. Pendant plusieurs années sous le règne Trudeau, le Canada a augmenté son émission totale de GES et demeure encore aujourd’hui un des pays qui consomment le plus d’énergie per capita. On estime que l’objectif ambitieux que s’était donné le pays pour 2030, en réduisant les émissions de GES de 45%, serait présentement à 8,5%. Aussi, les subventions à l’industrie pétrolière de l’Ouest représentent des sommes astronomiques, tels que 18,5 G $ en 2023, malgré le fait que Trudeau avait pris l’engagement devant l’ONU qu’il allait couper cette aide financière importante. Durant son mandat, Justin Trudeau a également dû traverser des crises importantes en lien avec les conséquences des changements climatiques. En 2016, Fort McMurray, en Alberta était partiellement détruite par des feux de forêt d’une rare intensité. En 2019, le centre-ville de Sainte-Marie, en Beauce, était dévisagé par des crues importantes de la rivière Chaudière. Deux ans plus tard, la communauté de Lytton, en Colombie-Britannique, était rayée de la carte. Puis, en 2024, des feux dévastateurs ont brûlé de grandes parcelles de forêt dans le Nord-du-Québec.
2019: une année électorale et une confiance de la population affaiblie
Avec tous les scandales, les remaniements ministériels et 4 budgets déficitaires consécutifs, le Parti libéral et Trudeau s’élancent dans une campagne de réélection remplie de sables mouvants. De plus, visages de ses adversaires sont également différents de 2015. Les Conservateurs, qui n’ont toujours pas tourné le dos à la droite traditionnelle, choisissent le politicien d’expérience Andrew Scheer, député depuis 2004. Les néodémocrates se rallient derrière une étoile montante qui a fait ses marques comme député de l’Assemblée législative de l’Ontario, Jagmeet Singh, qui fait plus parler de lui pour son Dastar que sa vision politique . Pour leur part, les bloquistes tentent de se lancer, après deux élections catastrophiques, en faisant confiance à Yves-François Blanchet. Puis, ayant subi la défaite pour la chefferie du Parti conservateur, le député beauceron lance le Parti populaire du Canada, qui reprend certains dogmes du Parti républicain étasunien. Trudeau est rapidement dans l’eau chaude. Une image le montrant déguisé en Aladdin, comportant un « blackface », le force à faire son mea culpa. Au Québec, Blanchet et les Bloquistes prennent du poil de la bête. Mais lors des débats télévisés, les positions discutables d’Andrew Scheer sur l’avortement et l’environnement, en plus de la campagne négative qu’il menait, ont permis aux Libéraux de respirer un peu. À l’instar de son paternel, Justin Trudeau obtient un mandat minoritaire à la suite d’une majorité, le 21 octobre 2019.
2020: une crise inédite, une réaction qui divise

Justin Trudeau faisait des points de presse quotidiens devant sa résidence de Rideau Cottage au courant de la première vague de la Covid-19, en 2020. Source photo: Sean Kilpartick/LPC
Au début de l’année 2020, un mystérieux virus en provenance de la Chine se répand en Europe. Puis, le 25 janvier, un ressortissant canadien ayant voyagé à Wuhan, ramène ce vilain pathogène dans la région de Toronto. Un premier cas de Covid-19 est déclaré. Le 11 mars, l’Organisation mondiale de la Santé annonce le pire: le monde est aux prises avec une pandémie. Il faudra 5 jours pour le premier ministre Trudeau avant de fermer les frontières pour les entrées non-essentielles. Quatre jours plus tard, c’est la mythique frontière canado-américaine qui est fermée, une décision inédite. La réaction tardive du gouvernement Trudeau aura été mis à blâme à maintes reprises. Pour aider les Canadiens qui ne peuvent travailler, le premier ministre utilise une stratégie propre au keynésianisme, en lançant la Prestation canadienne d’urgence, le 25 mars 2020. La PCU, qui s’étalera pendant 5 mois, aura coûté plus de 100 G $. La mesure aura été critiquée, notamment en raison des nombreux fraudeurs qui sévissaient, mais aussi du fait que plusieurs personnes ne comptaient pas retourner à l’emploi, puisque la PCU leur permettait de toucher un revenu plus élevé. À tous les jours, Justin Trudeau faisait des conférences de presse devant sa résidence du Rideau Cottage pour mettre à jour le pays sur l’évolution de la pandémie, les mesures instaurées par son gouvernement et transmettre les informations concernant la campagne de vaccination à grande échelle.
Et le ciel s’assombrit: le processus complexe de réconciliation avec les Premières nations
C’était connu: le Canada a une réputation particulièrement houleuse quand au traitement qu’il réservait aux populations autochtones. Le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation confirme le pire, allant même jusqu’à employer le terme « génocide » pour qualifier les gestes historiques posés par le gouvernement fédéral, notamment dans les pensionnats destinés à l’acculturation des Premiers peuples. La découverte, en mai 2021, des restes de 215 pensionnaires près de l’institution de Kamloops, en Colombie-Britannique, assomme le monde entier. Les festivités de la fête du Canada se feront sous le thème de la réconciliation, chose sur laquelle le premier ministre Trudeau insistera dans l’élaboration de ses politiques publiques. À la fin du mois de juillet, Trudeau choisit Mary Simon à titre de gouverneure générale du Canada. Elle est la première personne d’origine inuite à occuper ce poste. Sa nomination ne se fait pas sans controverse, surtout au Québec, car Simon ne parle aucunement la langue française. Quatre ans plus tard, il est encore difficile pour elle de converser en Français, l’effort qu’elle met dans l’apprentissage de la langue est constamment remis en question.
Le « Convoi de la liberté » et l’application controversée de la Loi sur les mesures d’urgence

Le Convoi de la liberté a suscité l’attention du monde entier. La capitale fédérale a été paralysé pendant un mois par des milliers de protestataires. Source photo: Kadri Mohamed/Getty
Près de deux ans après le déclenchement de la pandémie, les Canadiens commencent à être mécontents de la gestion de la crise de Covid-19 et les mesures contraignantes qui sont prises par le gouvernement. En novembre 2021, le premier ministre mandate la vaccination pour tous les camionneurs qui doivent traverser la frontière avec les États-Unis. Cette décision est mal reçue par des communautés de camionneurs un peu partout au pays. Appuyés sur les réseaux sociaux par diverses figures de l’extrême-droite canadienne et étasunienne, un mouvement de contestation prend forme. Des camionneurs et plusieurs cols bleus entreprennent une traversée du Canada, de Prince Rupert en Colombie-Britannique, jusqu’au Parlement d’Ottawa. Ils sont joints en cours de route par des milliers de personnes des quatre coins du pays. Durant tout le mois de février 2022, le Convoi de la liberté bloque la rue Wellington à Ottawa. Le climat hostile et les gestes qui y sont perpétrés poussent Trudeau à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, la loi martiale permettant aux autorités d’obtenir des pouvoirs spéciaux afin de résorber une crise qui menace la population canadienne. C’est l’état d’urgence. Ce geste viendra cristalliser la relation toxique entre le gouvernement canadien et la droite du pays. Un an plus tard, le rapport de la commission indépendante qui s’est penchée sur le sujet donne raison au gouvernement Trudeau, justifiant la nécessité de ressources dans un court délai, la menace pour la sécurité des résidents d’Ottawa et l’illégitimité des motifs entourant les activités du mouvement.
2021 à 2025: la longue chute
Après une réélection en octobre 2021, au coût d’un demi-million de dollars, et dont les résultats n’ont presque pas amené de changements dans la répartition des sièges, Trudeau se retrouve encore une fois à travailler avec un gouvernement minoritaire. Cette situation épineuse le pousse à devoir s’entendre avec un parti d’opposition, afin de garder la balance du pouvoir au sein de la Chambre des communes. En mars 2022, c’est avec le NPD que le Parti libéral trouve un terrain d’entente. En vertu des termes de l’alliance, permettant aux Libéraux de demeurer au pouvoir jusqu’en 2025, le gouvernement instaure un régime national d’assurance-dentaire et une loi contre les briseurs de grève dans le milieu syndical. Mais l’hécatombe ne fait que commencer. L’arrivée de Pierre Polievre à la tête du Parti conservateur est un coup de massue. Un incident diplomatique se produit à la Chambre des communes, alors que le président Anthony Rota invite un prétendu ancien combattant ukrainien. Il sera applaudi chaleureusement par la députation, avant qu’on apprenne qu’il avait combattu dans les rangs de l’Allemagne nazie. Le 4 mars 2024, le PLC perd un bastion, dans Toronto-St-Paul. La dette a quant à lui doublé entre 2019 et 2023, pour s’établir à 1 300 G $. La grogne s’empare des rangs du parti et plusieurs députés claquent la porte. Le régime Trudeau tire à sa fin, mais celui-ci s’accroche. Le 16 décembre 2024, sa pillière, Chrystia Freeland, quitte de façon retentissante son poste de ministre des Finances. C’est la goutte qui fait déborder le vase: Justin Trudeau annonce, le 6 janvier 2025, qu’il quittera son poste de premier ministre du Canada à la suite de l’élection de son successeur à la chefferie du Parti libéral du Canada.